EUGÈNE POUPIN, ÉDITEUR DE CARTES POSTALES
Au tout début du XXème siècle, à l’époque dite « de l’âge d’or » des cartes postales, beaucoup de photographes locaux vont éditer des cartes, souvent avec talent. La plupart d’entre eux rayonneront ainsi sur leur canton et le voisin. Quelques uns seulement auront pour ambition de couvrir l’ensemble du département de la Vendée ; parmi ceux-ci, il convient de citer entre autres Jules Robuchon, Lucien Amiaud (Cf. article sur le présent Blog N° 5-25), Paul Dugleux (Cf. article N°5-28) et surtout Eugène Poupin. Ce dernier est peut-être le plus célèbre, parce que le plus prolifique du département et le meilleur commerçant en zone rurale.
Extrait du registre d’État civil de 1859 (Archives Départementales de la Vendée).
Eugène, Joseph POUPIN est né le 24 octobre 1859 à Mortagne-sur-Sèvre, route de Cholet, fils d' Eugène Poupin et d’Euphrasine Péneau (Cf. image ci-dessus). Il a ainsi reçu le prénom de son père Eugène et le 10 juillet 1862, il aura une sœur qui recevra, elle, le prénom de sa mère Euphrasine. Il passe sa jeunesse dans cette ville au Nord-Est du bocage vendéen et ne semble pas avoir poursuivi ses études au delà du cycle de l’école primaire. Il adopte tout d’abord le métier de son père « chaisier », mais avec le désir de s’en échapper. C’est, en effet, un jeune homme imaginatif et assez doué de talents artistiques. Il réalise des chansons, des dessins d’un certain intérêt, des instruments de musique et des sculptures, notamment sur des ceps de vigne. Il suivait ainsi la trace de son grand-père qui aurait fabriqué une draisienne vers 1810, comme le montre la photo ci-dessous.
Bayard, le vélocipède de M. Poupin vers 1810.
Âgé d’à peine 22 ans et chaisier, il épouse le 14 juin 1881 à Mortagne-sur-Sèvre Philomène-Marie Leigneil, sage-femme dans cette ville. Par contre, l’année suivante, au recensement de 1882, il se déclare tourneur et à celui de 1888 relieur, preuve qu’il cherche visiblement sa voie. Au recensement de 1891, il est encore officiellement chaisier et habite alors route de Nantes. Par contre à celui de 1896, il est bien désormais libraire, place de l’Église. Enfin à celui de 1906, sa librairie est alors installée à l’endroit définitif et reconnu : rue Nationale à Mortagne-sur-Sèvre.
Son épouse et lui ont eu deux filles : Annette (Eugénie, Clarisse) Poupin née le 11 juillet 1882 et Eugénie (Augustine, Alexandrine) Poupin née le 16 mai 1888. C’est l’aînée Annette qui épousera plus tard, le 15 décembre 1904 à Ivry-sur-Seine, (Charles) Victor Jehly. En attendant, c’est également elle qui aidera son père à faire des photographies, en posant vêtue de différents costumes pour illustrer les cartes des multiples coiffes locales de Vendée, ainsi que la célèbre « mariée de Chambretaud » (Cf. la 1ère image ci-dessous).
Gauche : La Mariée de Chambretaud (1904). Droite : Dans une rue à Montaigu (1901).
En effet, sa nouvelle profession de libraire l’a amené à s’intéresser à une récente activité : la photographie. Cela devient assez vite une passion et il réalise quelques plaques vers 1897. Toutefois, comme il n’est pas photographe de profession (il se dira d’ailleurs toujours libraire ou éditeur), il n’a pas tout de suite l’idée de les commercialiser. Il ne peut donc pas être compté parmi les pionniers, mais seulement dans les précurseurs. C’est à partir de 1900 qu’il édite en réalité ses premières cartes postales.
Une rencontre va être déterminante dans sa carrière, celle avec un photographe déjà de renom depuis quelques années, Lucien Amiaud de la Roche-sur-Yon. Ils se retrouvent tous les deux un après-midi dans une rue à Montaigu en 1901 et vont immortaliser l’évènement. Lucien Amiaud va réaliser une première photo représentant une rue avec Eugène Poupin assis sur une borne au premier plan. Il la publiera dans sa collection « Photogravure L. Amiaud La Roche-s-Yon » sous le numéro 225 en 1902. Il cédera la plaque à Eugène Poupin, qui la publiera à son tour en 1904 sous le numéro 232, comme le montre la 2ème image ci-dessus. Lucien Amiaud prendra un second cliché représentant son collègue en train d’installer son matériel pour prendre une photo aux Olivettes de Montaigu (Cf. image si dessous).
Le photographe à Montaigu.
Dans l’œuvre photographique d’Eugène Poupin, son célèbre magasin de la rue Nationale est visible au moins deux fois : une première fois sur une carte spéciale, sans titre, ni numéro, représentant le tombereau hippomobile des éboueurs et portant l’inscription « Attention Lisa, Boug’ pas, tu vas te faire photographier » ; une deuxième fois sur une carte intitulée « la rue Nationale » éditée en 1905 sous le numéro 1095 (Cf. image ci-dessous). Sur cette dernière on aperçoit principalement la sortie des enfants des écoles, mais aussi, sur la gauche la librairie Poupin. Dans la vitrine on distingue des livres, des documents, des chapelets, un christ, cinq plaques portant des cartes postales et le nom de propriétaire « E. POUPIN ». Il est très probable que la dame que l’on voit entre deux messieurs soit Madame Philomène Poupin.
La librairie Poupin (1905).
Pour réaliser ces reportages photographiques Eugène Poupin ne disposera jamais d’automobile ; en revanche il s’est fait fabriquer un curieux véhicule hippomobile à quatre roues, avec un grand coffre cubique, mélange de voiture à cheval et de carriole de livraison. Il était assez semblable à ceux des voyageurs de commerce (les rouleux), qu’il ira d’ailleurs photographier à Saint Michel-Mont-Mercure en 1904 (N°351). Ce fameux véhicule se retrouvera, plus ou moins volontairement, dans le champ visuel de plusieurs de ses clichés, en particulier à Évrunes, La Verrie, Tiffauges, Les Landes-Génusson, Les Herbiers (Cf. image à la suite), Sainte Florence-de-l’Oie, Saint Jean-de-Beugné (Cf. image ci-dessous), Nalliers, Le Girouard etc.
Le véhicule d’Eugène Poupin à Saint Jean-de-Beugné.
Ses plaques ne sont pas vraiment classées dans l’ordre chronologique, mais les numéros de ses cartes permettent de suivre à peu près l’itinéraire qu’il effectuait lors de ses sorties pour une campagne de photos. Ainsi, en faisant le voyage de Mortagne vers La Chataigneraie (N°1237, 1246) il est passé à Pouzauges (N°1219) et est revenu par Cheffois (N°1220), Mouilleron en Pareds (N°1224, 1227), Monsireigne (N°1254), Mouchamps (N°1232, 1250), Beaurepaire (N°1217).
Gauche : Le véhicule aux Herbiers (1904). Droite : La broyeuse de chanvre (1902).
L’œuvre photographique d’Eugène Poupin a connu deux périodes : celle des précurseurs (1900 à 1903) et celle de l’âge d’or (1904 à 1914). Durant la première, le verso était réservé à l’adresse, la correspondance et l’image devaient alors se partager le recto. A partir de décembre 1903, l’image est autorisée à couvrir tout le recto, la correspondance se faisant au verso partagé avec l’adresse.
Eugène Poupin a un peu anticipé ce changement, car ses images n’ont jamais laissé beaucoup de place à la correspondance. Jusqu’en 1903, ses cartes sont reconnaissables au fait que les légendes sont toutes écrites en rouge (d’où le surnom de « Poupin rouges »). Elles représentent soit des monuments, des rues avec peu d’animation ou bien des vieux métiers (Cf. carte ci-dessus N°120). Durant cette période, il a édité un peu moins de 200 cartes et n’a guère quitté le canton de Mortagne. La carte reproduite ci-dessous, non numérotée, représentant une rue de Mortagne, est une des premières qu’il ait réalisée.
La place de la Lune à Mortagne (1900).
Durant la deuxième période, Eugène Poupin change de style complètement. Pour avoir une collection personnelle aussi complète que possible, il parcourt sans cesse tout le département, même les communes déjà couvertes par un collègue. En dix ans, lui, l’autodidacte, va produire à lui seul environ 3 500 plaques. Il ne sera dépassé dans la région que par les grandes maisons qui disposent d’une automobile et de plusieurs photographes : Bergevin à La Rochelle et Artaud-Nozais à Nantes.
Il ne se limitera d’ailleurs pas au seul département de la Vendée. Mortagne étant à proximité de la frontière des trois provinces (Poitou, Anjou, Bretagne), il photographie aussi dans le bas de la Loire-Atlantique, dans celui du Maine-et-Loire et dans le haut des Deux-Sèvres.
Le Puy-Greffier à Saint Fulgent (1904).
Dans une commune, il essaie de tout avoir : l’église, les châteaux, les anciens logis, les rues, les évènements. Il est l’un des premiers à créer des cartes dites multivues, qu’il réalise en plaçant toutes les cartes faites dans une commune sur un support décoré et en photographiant la composition. Ces cartes, moins intéressantes, sont pourtant utiles aux collectionneurs pour savoir ce qui existe dans une commune.
Même si c’est son collègue Armand Robin de Fontenay-le-comte qui est considéré comme le spécialiste des « Châteaux de Vendée », Poupin n’en a pas oublié non plus.
La carte reproduite ci-dessus (N°527) représente les ruines de l’ancien château du Puy-Greffier à Saint Fulgent, qu’il a photographié en 1904. Toutes ses cartes de monuments bénéficient d’une longue légende très bien documentée (sans doute parce que son auteur était libraire). Au Puy-Greffier il a même produit un document précieux, puisque le château a été ensuite dynamité en 1974.
Un carrefour à Mesnard-la-Barotière (1908).
Il a bien compris que les clichés présentant un maximum de personnes « étaient plus recherchés et commercialement plus rentables », alors il n’hésitait pas à réunir tous les habitants du quartier. Il le faisait d’autant plus facilement, qu’à l’époque, c’était nouveau et que les gens étaient très heureux de se faire photographier. C’est principalement le cas sur la carte reproduite ci-dessus à Mesnard-la-Barotière (N°1881), mais également à Treize-Septiers (N°1838), La Flocellière (N°1633), Les Herbiers (N°1867), Menomblet (N°1653), Saint Fulgent (N°1822), Saint Martin-des-Noyers (N°1899), La Ferrière (N°1604 & 1605) etc…
Le marché aux Herbiers (1905).
Il s’est naturellement aussi intéressé à tous les aspects de la vie quotidienne : les vieux métiers (comme nous l’avons vu précédemment), les lavoirs comme à Mouilleron-en-Pareds (N°1235) ou à Champ-Saint-Père (N°2712), les scènes familiales reconstituées comme le « reçonnage », la veillée à la ferme (N°1089), la robe de mariée (N°1171) ou les nombreux personnages locaux pittoresques comme le célèbre « Riquiqui » (N°1083, 1084, 2504).
Il n’a évidemment pas manqué d’aller photographier les foires et marchés, comme à Mortagne-sur-Sèvre (N°929 à 933), Pouzauges (N°1637 à 1643), Les Herbiers (N°908 à 915 & 2164), L’Oie (114 à 116) ou l’Herbergement (N°947). La carte postale, reproduite ci-dessus (N°908) représentant le marché aux Herbiers, par sa précision et les personnages en gros plan, est une des meilleures réalisations dans le genre.
Les Courses à Montaigu (1905).
Les fêtes locales de toutes natures n’ont pas été oubliées non plus par Eugène Poupin. Il a photographié entre autres : les Courses hippiques de Montaigu (N°777, reproduit ci-dessus), Les Fêtes de gymnastique à La Verrie en 1909 (sans N°), Les Réjouissances populaires à Mortagne-sur-Sèvre (N°969 & 970), Les fêtes en l’honneur de Jeanne d’Arc à Pouzauges (N°2554 à 2558), au Boupère (N°2507 à 2509), ou aux Brouzils (sans N°).
Dans le même esprit, il s’est également consacré aux fêtes religieuses traditionnelles, comme les missions, les communions ou les processions de la Fête-Dieu. Nous avons ainsi la possibilité de trouver la Fête-Dieu à Pouzauges (2 cartes sans N°), dont une est reproduite ci-dessus. Il existe aussi les pèlerinages comme celui du Bienheureux Louis-Marie Grignion de Montfort à Saint Laurent-sur-Sèvre (N°886 & 887), les processions comme à Chavagnes-les-Redoux (N°1994), les adorations comme à Chavagnes-en-Paillers (N°2288) ou les Missions.
En 1909, il est chargé d’assurer le reportage photographique du pèlerinage (ou congrès) eucharistique vendéen annuel, qui se tient cette année-là dans la commune des Épesses. Il le fera en cinq clichés : la musique et la procession (N°2460), la procession sur la grande place (N°2463), le passage du Saint-Sacrement (N°2461), la messe en plein air (N°2464) et le retour à l’église (N°2462). C’est cette dernière qui est la première reproduite ci-dessous.
Gauche : Pèlerinage eucharistique aux Epesses (1909). Droite : Le chevalement de la mine de La Ramée (1907).
Dans un tout autre domaine, celui des activités agricoles, artisanales et industrielles, il a également produit des cartes postales, qui au prix du marché actuel des collectionneurs, ont pris beaucoup de valeur. Dès le départ il a été attiré par les métiers en voie de disparition : les tisserands (N°131), les tuiliers (N°1266), ou les techniques agricoles ancestrales : le battage à la gaule (N°133) le battage au rouleau (N°2628), la vannage (sans N°), le ramassage des pommes de terre (N°472).
Il a ensuite évolué vers l’industrie ou la construction : la sortie d’usine aux Herbiers (N°2235), l établissement de la ligne de chemin de fer à Mouchamps (N°2301), la construction de la gare de Mortagne-sur-Sèvre (N°3412) ou du viaduc de la Maunerie aux Herbiers (N°2465), la mine de Rochetrejoux (N°2292, N°2303, N°2312, N°3244).
En 1907, il a fait plusieurs voyages au Boupère pour la mine d’antimoine de la Ramée située sur cette commune. Le premier a eu lieu pour l’arrivée de l’énorme machine à vapeur, transportée par cinq paires de bœufs et un cheval depuis la gare de la Meilleraie-Tillay jusqu’à la mine (N°1572). Il s’agit de la carte reproduite ci-dessous. Il en a profité pour photographier toutes les installations de la mine (N°1575, Cf. 2ème photo ci-dessus, N°1840 & N°1910). Il en a ensuite réalisé un second déplacement pour la visite officielle du Préfet de la Vendée et des autorités (N°1865), du défilé dans les rues (N°1874) et du banquet républicain au village de l’Aumondière (N°1872).
Le transport de la machine à vapeur (1907).
Du fait de la proximité avec Mortagne-sur-Sèvre, l’édification très spectaculaire du viaduc ferroviaire de Barbin à Saint Laurent-sur-Sèvre (300 m de long et 38 m de haut) a été le sujet qu’il a le plus suivi et où il est revenu très souvent, pratiquement à chaque étape du chantier. Ses différents clichés constituent un véritable reportage sur la construction et les techniques employées à l’époque. Il en a ainsi publié en carte postale une douzaine. On y trouve en effet la carrière de granit (N°645), les premières piles du viaduc (sans N°), la totalité des piles (sans N°), les 4 premières arches (sans N°, voir carte ci-dessous), les 6 premières arches (sans N°), les 7 premières arches (N°1036 à 1039), les 10 arches (N°1113), le viaduc presque terminé (N°1129 & 1531 ?), le viaduc vu de dessus (sans N° & 2224) et enfin l’ouvrage achevé (N°2593 & 1137, sûrement une erreur). Malheureusement, Eugène Poupin se trompe parfois dans la numérotation et en plus, ce qui induit en erreur, quand il réédite une carte, il y met un nouveau numéro.
La construction du viaduc de Barbin (1905).
Il lui est arrivé aussi de faire des classements particuliers, quand certains clichés ou cartes ont fait l’objet de commande particulière. De cette manière, c’est lui qui a été chargé de photographier les dolmens et menhirs d’Avrillé et du Bernard sur la côte vendéenne, alors qu’il n’était pas le photographe du secteur. Nous lui en connaissons une série de 25, numérotées à partir du numéro 1. Il en a profité pour en faire certaines (animées celle-là) pour sa propre collection, comme les numéros 2634 (reproduite ci-dessous), 2655 et 2658 qu’il éditera plus tard. Auparavant, il n’avait pas manqué de s’intéresser très tôt aux monuments mégalithiques plus proches de chez lui, comme à Mortagne-sur-Sèvre (sans N° rouge), la Verrie (N° 54 rouge)
Plus surprenant, il a aussi édité sous la signature de EP un ensemble de cartes illustrées par des petits dessins humoristiques, avec des commentaires rédigés en patois local
Un des dolmens du Bernard (Carte éditée en 1909).
Trop vieux pour être mobilisé en 1914, Eugène Poupin a poursuivi ses activités professionnelles pendant la première guerre mondiale. Toutefois, il semblerait qu’il ait attrapé la grippe espagnole. En tous cas, il va décéder un mois avant la victoire du 11 novembre, le 15 octobre 1918 à presque 59 ans, à son domicile de la rue de Cholet et non pas au logement du magasin rue Nationale. A cette occasion, il est qualifié de « propriétaire » et non pas de « libraire ».
Après la guerre, sa fille Annette et son gendre (Charles) Victor Jehly vont prendre sa succession au magasin de la rue Nationale. Les cartes réalisées ensuite n’auront pas la même qualité que celles produites par Eugène Poupin lui-même. D’autant plus que son gendre va abondamment réutiliser certains clichés anciens jusqu’à leur usure. Un des fils Jehly prendra à son tour la succession de son père, mais finira par abandonner le métier de photographe.
Carte d’avis de passage de Victor Jehly.
Annette Jehly est décédée le 18 mars 1958 et son mari Victor Jehly le 22 juin 1965. Malheureusement après cette date, lors de la succession, toutes les anciennes plaques photographiques, héritage d’Eugène Poupin, vont être jetées depuis le grenier au second étage dans un camion, pour être envoyées à la décharge, nous privant ainsi d’un patrimoine important et unique. Il ne nous en reste donc plus aujourd’hui que ses cartes postales, qu’il est important d’essayer de collectionner, pour s’efforcer de reconstituer ce patrimoine disparu.
Chantonnay le 8 novembre 2023.