LA MORT D’UN PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
Contrairement à ce que l’on aurait pu penser à priori, pas moins de 14
sur un total de 25 présidents qui se sont succédés sous les IIème, IIIème, IVème et Vème
Républiques n’ont pas eu la possibilité de terminer leur mandat (à
l’époque de 7 ans et désormais de 5 ans) et ce, pour des raisons très
diverses : 10 ont démissionné et 4 sont morts en cours de mandat.
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Louis-Napoléon Bonaparte (1808-1873) entré en fonction le 20 décembre
1848, le « prince président » fait un coup d’état le 2 décembre 1852
pour modifier la constitution qui l’empêchait de se représenter. Il
établira ensuite le Second Empire à son profit ;
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Albert Lebrun (1871-1950) entré en fonction le 10 mai 1932 et réélu en
1939, il ne démissionne pas, mais son mandat est interrompu par la fin
de la IIIème République et la création de l’État Français avec le maréchal Philippe Pétain le 11 juillet 1940 ;
- René Coty (1882-1962) entré en fonction le 16 janvier 1954 (élu au 14ème tour de scrutin), il se retire le 8 janvier 1959 pour laisser la place à la Vème République et au Général de Gaulle.
- Patrice de Mac Mahon duc de Magenta (1808-1893) entré en fonction le 24 mai 1873, il démissionne le 30 janvier 1879 après une défaite aux élections législatives qu’il avait provoqué. Il avait préféré alors « se démettre plutôt que se soumettre » ;
- Jules Grévy (1807-1891) entré en fonctions le 30 janvier 1879 et réélu en 1886. Il doit démissionner le 2 décembre 1887 après le scandale des décorations, où son gendre le député Wilson était compromis par la vente de Légion d’honneur ;
- Jean-Casimir Périer (1847-1907) entré en fonction le 27 juin 1894, il démissionne dès le 16 janvier 1895 du fait de l’hostilité des deux chambres ;
Démission pour raison de santé : 1
Décès en cours de mandat : 4
- Félix Faure (1841-1899) entré en fonction le 17 janvier 1895, il est mort au palais de l’Élysée le 16 janvier 1899 d’une congestion cérébrale. C’est à lui que nous allons nous intéresser plus loin ;
- Paul Doumer (1857-1932) entré en fonction le 13 juin 1931, il a été assassiné lors d’une exposition à Paris le 7 mai 1932 par un illuminé russe Paul Gorgulov ;
- Georges Pompidou (1911-1974) entré en fonction le 20 juin 1969, il est mort à l’hôpital de la maladie de Waldenström, le 2 avril 1974.
Félix Faure est arrivé en gare de La Roche-sur-Yon le 20 avril 1897 au matin, en compagnie du Président du Conseil Méline, du ministre de l’intérieur Barthou, du général Brault commandant le 11ème corps d’armée de Nantes et de la maison militaire présidentielle, pour traverser la ville en direction de la Préfecture dans un landau attelé à la Deaumont. Le parcours était décoré de drapeaux tricolores et de lampions en papier. On avait dressé pour l’occasion un imposant arc de triomphe devant le square de la Préfecture, au bas de l’actuelle rue Jean Jaurès, entre les Archives Départementales et la Trésorerie Générale. Construit généralement pour les parades militaires, ce genre de monument était le plus souvent décoré d’armes (baïonnettes, sabres, cuirasses) disposées en faisceaux. Ici, comme il s’agissait d’une cérémonie civile, on utilisa de manière surprenante des outils agricoles (fourches, pelles, charrue, herses). La carte postale reproduite ci-dessous a été prise par Eugène Poupin de Mortagne, en dehors de la communication officielle, le lendemain de l’évènement. En raison de la pluie, les lampions en papier avaient déjà été retirés.
Ce voyage officiel d’un Président modéré, était destiné à opérer un rapprochement entre l’Ouest monarchique et la France républicaine. D’ailleurs, les parlementaires monarchistes de Vendée avaient accepté d’être présents. L’accueil a été partout magistral et le voyage une véritable réussite. Les résultats furent malheureusement annulés par la politique radicale et sectaire exercée par Émile Combes quelques années plus tard.
Et précisément ce 16 février 1899, Félix Faure avait eu une longue journée puisque S. E. Monseigneur Richard cardinal archevêque de Paris et S. A. S. Albert Ier Prince de Monaco étaient venus tous les deux dans l’après midi, en particulier pour plaider en faveur de l’innocence du capitaine Dreyfus. Il avait toutefois donné rendez-vous, dans le salon d’argent, à 17 heures à sa maîtresse (on disait pudiquement à l’époque sa « connaissance ») Marguerite Steinheil, épouse d’un peintre connu.
Au cours de l’entretien, le chef de cabinet Le Gall a été brusquement alerté par des cris provenant précisément du salon d’argent. S’étant précipité, il trouva le Président agonissant, victime d’un accident vasculaire cérébral. Pour éviter le scandale, Madame Steinheil n’eut que le temps de se rhabiller rapidement pour quitter les lieux. Elle le fit tellement vite qu’elle en oublia son corset, que le chef de cabinet conserva en souvenir. Elle sortit discrètement de l’Élysée par la porte sur le côté gauche de l’entrée du palais, donnant dans la rue dite de l’Élysée.
Son épouse Marie-Mathilde Bulluot Faure et sa fille rejoignirent alors le Président.
Madame Faure avait demandé à deux huissiers du palais d’aller chercher l’abbé Herzog curé de l’église de la Madeleine, pour administrer les derniers sacrements. En s’y rendant par la rue du Faubourg Saint-Honoré les deux hommes rencontrèrent par hasard un prêtre sur le trottoir. A cette époque, on les reconnaissait facilement à leur soutane, leur rabat et leur chapeau à larges bords. Ils lui firent part de leur recherche et celui-ci leur répondit aussitôt « Je vous suis, mes enfants ». Parole un peu imprudente, parce qu’il était bien plus âgé que les deux huissiers. Après avoir traversé rapidement la cour, arrivé au haut du perron, il risqua une question pour pouvoir reprendre sa respiration. C’était d’ailleurs, la question traditionnelle que posaient tous les prêtres en pareille circonstance, car le fait d’être conscient ou non changeait la nature du sacrement : « Monsieur le Président de la République a-t-il toujours sa connaissance ? ».
La réponse qu’il reçut va le surprendre beaucoup et fera ultérieurement rire tout le monde : « Oh ! ne craignez rien Monsieur le Curé, bien entendu, nous l’avons fait sortir par la porte de derrière ».
L’aspect général de la cour du palais de l’Élysée, recouverte de tentures noires et argent, montre bien la pompe de la cérémonie, de même que le corbillard monumental, tiré par six chevaux caparaçonnés de deuil, que l’on aperçoit dans la cour.