Christine Guillet, héroïne vendéenne de la seconde guerre mondiale
Au cours de la seconde guerre mondiale, en Vendée comme dans d’autres départements, des gens courageux n’ont pas hésité, au risque de leur vie et de celle de leurs proches, à porter secours à des aviateurs alliés dont les avions avaient été abattus et qui, après avoir sauté en parachute, se retrouvaient en pays occupés par les Allemands et risquaient d’être capturés. Christine Guillet fait partie de ces héros méconnus puisqu’elle a caché dans sa ferme pendant près d’un an un aviateur américain alors qu’elle connaissait très bien le danger qu’elle courait et faisait courir à toute sa famille : si cet aviateur avait été trouvé chez elle par les Allemands, son mari aurait été aussitôt fusillé et elle aurait été déportée avec ses enfants. Il a fallu attendre 1996 pour qu’elle soit honorée au cours d’une cérémonie très émouvante présidée par Monsieur Philippe De Villiers.
Voici l’histoire de cette héroïne et de cet aviateur américain, Harold Lyberger, telle qu’il a été possible de la reconstituer en interrogeant tous les témoins retrouvés, à commencer par Madame Guillet, et en consultant les archives américaines. Mais comment cet aviateur a-t-il pu se retrouver dans une ferme de Vendée pendant la dernière guerre ? Avant d’aller plus loin, il n’est pas inutile de faire un bref rappel historique.
L’entrée en guerre des américains
La seconde guerre mondiale commence le 3 septembre 1939 à la suite de l’invasion de la Pologne par Hitler. La France et l’Angleterre déclarent la guerre à l’Allemagne mais les troupes ne bougent pas. Les seules actions se déroulent sur mer et dans les airs. Les Anglais commencent à bombarder des cibles allemandes. En mai 1940, les Allemands déclenchent une guerre éclair. En quelques semaines, la Hollande, la Belgique puis la France sont envahis et en juin, Pétain signe un armistice. L’Angleterre se retrouve seule à combattre et poursuit sa campagne de bombardement sur l’Allemagne.
Le 7 décembre 1941, à la suite de l’attaque japonaise de Pearl Harbor, l’Amérique entre à son tour en guerre, non seulement contre le Japon mais aussi contre l’Allemagne et l’Italie. Roosevelt et Churchill se rencontrent et décident de faire porter en priorité leur effort de guerre contre les nazis afin de libérer l’Europe occupée. Pour ce faire, il faudra effectuer un débarquement en France et celui-ci ne pourra réussir qu’après avoir désorganisé la machine de guerre allemande. Les Anglais, renforcés par les Américains, déclenchent alors une guerre aérienne intensive avec en particulier une campagne de bombardements stratégiques destinés à détruire le potentiel de guerre ennemi : usines, raffineries de pétrole, installations portuaires, moyens de communication. Dès le mois d’août 1942, les Américains, arrivés en renfort et dont les avions sont basés au sud de l’Angleterre, partent attaquer les Allemands non seulement sur leur territoire mais aussi dans les pays occupés, dont la France.
Les Anglais, qui supportent seuls l’effort de guerre depuis 1939, font voler leurs bombardiers la nuit pour échapper le plus possible aux chasseurs et à la DCA. De ce fait, leurs bombardements manquent le plus souvent leurs cibles. Les Américains ont choisi une option différente : ils ont décidé de bombarder en plein jour afin de frapper leurs objectifs avec plus de précision. Leurs bombardiers stratégiques quadrimoteurs, type « Liberator » et « Forteresse volante » sont équipés d’un viseur ultra moderne, le « Norden », ce qui doit théoriquement leur permettre de toucher leurs cibles sans erreur. Pour se protéger des chasseurs ennemis, ces avions sont hérissés de mitrailleuses et volent à haute altitude, au moins à 5 000 mètres, pour rester hors de portée de la DCA.
Harold Lyberger, aviateur américain
Harold Lyberger, cet aviateur américain qui sera caché par Christine Guillet, est âgé alors de 26 ans. Marié, il habite près de New York, à Newark dans le New Jersey. Il s’est engagé dans l’armée de l’air en 1942 et, après une période d’entrainement, a rejoint l’Angleterre en février 1943. Il fait partie de la 8ème Air Force. Son unité, équipée de forteresses volantes, est le 91ème Bomb group, 323ème squadron, basé à Bassingbourn au nord de Londres.
Une forteresse volante semblable à celle d’Harold Lyberger.
Ces forteresses volantes ont un équipage de dix hommes. Les camarades d’équipage d’Harold Lyberger sont :
Eldon Smith, pilote H. Cramer, co-pilote B. Bone, mitrailleur
Banowetz, navigateur S. Hansen, bombardier A. Antonacchio, mitrailleur
J. Schmitt, radio-opérateur L.M. Young, mitrailleur W. Mazzola, mitrailleur de queue.
Harold Lyberger est ingénieur et mitrailleur de tourelle.
Intérieur d’une forteresse volante B 17 G. Le poste d’Harold Lyberger est la tourelle la plus haute, située derrière le poste de pilotage.
Au mois de septembre 1943, la 8ème Air Force qui a subit de lourdes pertes les semaines précédentes lors de longues missions au dessus de l’Allemagne doit faire une pause et programmer des missions moins longues donc moins dangereuses. L’occasion se présente lorsque les Américains apprennent par des résistants qu’un bateau ravitailleur de sous-marins est arrivé dans le port de Nantes. C’est une cible prioritaire car les sous-marins allemands attaquent et coulent de nombreux cargo qui transportent d’Amérique des secours aux Anglais. Le bombardement de Nantes est programmé pour le 16 septembre et Harold Lyberger va faire partie de cette mission. Les avions américains doivent bombarder le port, mais aussi l’aéroport de Château-Bougon. Cette dernière cible est celle d’Harold Lyberger, qui a bien failli périr le 16 août précédent : parti pour bombarder l’aéroport du Bourget, son avion baptisé « All American », victime d’une explosion à son bord, avait du rebrousser chemin à 4 km des côtes françaises et était tombé en mer du Nord à 12 km de l’Angleterre. Heureusement, tout l’équipage a été repêché par une vedette de la Royal Navy.
Le 16 septembre, à 10 heures du matin, 131 forteresses volantes s’envolent du sud de l’Angleterre. L’avion d’Harold Lyberger porte le numéro 42-3079. L’escadrille traverse la Manche et survole ensuite la Bretagne. Au sud de Rennes, volant à 6 000 mètres et se dirigeant vers Nantes, l’avion d’Harold Lyberger est touché par la DCA et perd de l’altitude.
Harold Lyberger et ses camarades sautent en parachute
Au dessus de Saint-Nazaire, l’avion est en perdition. Le pilote qui tient le rôle de commandant de bord, donne l’ordre à ses hommes d’abandonner l’avion et branche le pilote automatique. Les dix hommes d’équipage sautent en parachute. Lors de sa descente, Harold Lyberger voit l’avion se diriger vers l’océan et le perd de vue.
La fin de cet avion est connue grâce à des témoins de sa chute : après avoir survolé la baie de Bourgneuf, la forteresse volante frôle les toits de Saint-Jean-de Monts, perd un moteur en touchant des peupliers puis se pose dans un pré de la ferme de Champ-Gaillard, près de la plage des Demoiselles. Monsieur Mathurin Barranger qui assiste à l’atterrissage de cet avion fantôme se souvient :
« Ce jeudi 16 septembre, un peu après 16 heures, je soignais mes moutons dans la grange, quand un grand vacarme me fit me précipiter au dehors. Je fus suffoqué par le spectacle qui s’offrait à moi : un énorme avion quadrimoteur venant du nord, après avoir fauché une rangée de peupliers atterrissait normalement dans le champ voisin planté de betteraves, puis franchissait le buisson, traversait un pré où paissaient des vaches, sans les toucher. Il terminait sa course folle dans le champ de maïs contigu, où il s’immobilisait sans capoter.
Je me suis immédiatement précipité vers l’avion, mais, nouvelle surprise, il n’y avait personne à bord et aucun parachute dans le ciel. Monsieur Jean Daniau, qui avait failli recevoir un des moteurs sur la tête, arrivait lui aussi en courant, pénétrait à l’intérieur du fuselage par une porte restée ouverte et ramenait une paire de bottes d’aviateur. Il était temps, les Allemands accouraient au grand galop et interdisaient l’entrée du champ aux visiteurs qui venait voir ce spectacle insolite ».
Pendant ce temps, les parachutistes terminent leur descente. L’un d’eux, Bone, a le malheur de tomber en mer et se noie. Son corps sera découvert le 8 octobre suivant sur la plage de Coulepasse, près de Bouin, où il sera inhumé pour être transféré ensuite au cimetière américain de Draguignan. Ses neuf camarades touchent la terre ferme où ils sont attendus par les militaires allemands qui les arrêtent aussitôt. Seul Harold Lyberger, tombé à l’écart des routes, réussit à échapper aux recherches. Il détache son parachute et retire sa combinaison chauffante, équipement indispensable pour les missions à haute altitude dans ces avions non pressurisés où la température peut tomber à moins quarante degrés et où il faut porter des masques à oxygène. Il jette son parachute et sa combinaison dans un buisson et s’éloigne de son point de chute, l’œil aux aguets. Sur le dos de son blouson est écrit en grosses lettres « All American », nom de la forteresse volante avec laquelle il était tombé en mer du Nord un mois plus tôt.
Harold Lyberger tente de rejoindre l’Espagne
Harold Lyberger essaie, suivant les consignes de son commandement, de rejoindre l’Angleterre en passant par l’Espagne. Pour se guider, il a, comme tous ses camarades, une boussole et une carte de France imprimée sur son foulard de soie. Il peut espérer être aidé dans sa fuite par des résistants, comme l’ont déjà été et comme le seront beaucoup d’aviateurs alliés tombés en France.
Il passe sa première nuit de fugitif à la belle étoile. Le lendemain, il repart et suit la voie de chemin de fer Bourgneuf-Nantes. Il arrive vers 11 heures du matin près de la gare de Cheméré. Dans la gare se trouve monsieur Jean Conan, âgé alors de vingt ans, qui surveille le chargement de wagons que l’on remplit de pierre d’une carrière proche, pierres destinées à la construction du mur de l’Atlantique. Monsieur Conan aperçoit Harold Lyberger qui essaie de se cacher dans des buissons. Il va à sa rencontre, lui demande ce qu’il cherche, ne comprend pas ce qu’il dit et devine qu’il s’agit d’un aviateur allié. Il le conduit alors chez son beau-frère, monsieur Denis, chef de gare. Lyberger semble très inquiet, ayant manifestement peur d’être livré aux Allemands. Ne parlant pas le français et ses interlocuteurs ne parlant pas l’anglais, il montre son uniforme américain. Sur sa manche est cousu l’insigne de son escadrille : un bouc assis sur une bombe.
Insigne du 323ème Bomb squadron, 91ème Bomb group.
Il montre aussi ses papiers militaires, ses rations de secours, sa trousse de secours pour prouver son identité.
Monsieur Conan le laisse avec son beau frère pour aller déjeuner et revient à la gare à 13 heures 30. Son beau-frère lui apprend que l’aviateur est parti vers Saint-Hilaire de Chaléons en suivant la voie de chemin de fer. Il essaie de le rejoindre pour l’aider et le mettre à l’abri des recherches, mais, malgré ses appels, il ne le retrouve pas. L’année suivante, monsieur Conan rejoint le maquis de Princé. Il participe ensuite aux combats pour libérer la poche de Saint-Nazaire.
Le soir du 17 septembre, Harold Lyberger arrive dans une ferme où un couple de viticulteurs l’invite à partager leur repas et l’héberge pour la nuit. En repartant le lendemain matin, il leur offre en remerciement sa montre en or. Il arrive vers midi en bordure de l’aéroport de Château-Bougon et voit des soldats allemands montant la garde. Il repart alors vers le sud. Dans la soirée du 18 septembre il demande de l’aide à des fermiers qui refusent de le recevoir par crainte de représailles, les Allemands menaçant de fusiller ceux qui aideraient des aviateurs alliés.
Affiche placardée par les Allemands dès 1941. Ces menaces n’ont pas empêché des Français d’aider des aviateurs alliés tombés sur notre sol. Certains l’ont payé de leur vie.
Harold Lyberger reprend son chemin et couche à la belle étoile, mais heureusement il ne pleut pas et la température est encore clémente.
L’arrivée d’Harold Lyberger à la Preuille
Le 19 septembre, dans l’après-midi, Harold Lyberger arrive à la Preuille, propriété vendéenne située à 25 kilomètres au sud de Nantes, près de Saint-Hilaire de Loulay. Dans cette propriété se trouve un château du 13ème siècle, remanié au 15ème siècle. Ce château est entre autre célèbre pour avoir accueilli et caché la duchesse de Berry avant son arrestation à Nantes lors de sa folle équipée en 1832.
Le château de la Preuille.
Fatigué par ses longues marches et surtout affamé, ayant consommé ses rations de secours, il entre dans la vigne au dessus du château où il trouve quelques grappes de raisin. Il est alors surpris par Christiane Guillet, âgée de huit ans, dont les parents, Christine et René Guillet habitent une des fermes de la propriété voisine, la Haute-Preuille. Elle est accompagnée d’une de ses cousines. Elles ont un peu peur car elles ne comprennent pas ce qu’il leur dit. Arrive alors Marcel Guillet, âgé de vingt ans, fils de Léon Guillet habitant l’autre ferme de la Haute-Preuille. Il parle un peu anglais et conduit Harold Lyberger chez son oncle, monsieur Durand, fermier de la Basse-Preuille qui invite l’aviateur à partager le dîner familial et l’héberge pour la nuit. Les Guillet et les Durand se réunissent dans la soirée et discutent de la marche à suivre. Harold Lyberger ne pourra pas rester le lendemain à la Basse-Preuille car le château est occupé par une colonie de vacances. Il risque d’être repéré. Il sera plus en sûreté à la Haute-Preuille, de préférence chez René et Christine Guillet qui n’ont que trois enfants, le frère de René, Léon en ayant quinze.
Le lendemain, 20 septembre, René Guillet vient chercher Harold Lyberger et le conduit chez lui. On le fait déjeuner, dîner, et le soir il couche dans un bon lit. Le lendemain matin, Harold fait comprendre qu’il veut repartir. Christine Guillet lui prépare une petite sacoche où elle met du pain, quelques pommes, une perdrix rôtie et une bouteille de vin.
Madame Guillet décide de cacher Harold Lyberger
Au moment où il commence à s’éloigner, persuadée qu’il va être arrêté, elle court le rejoindre, lui fait comprendre qu’il va être pris s’il s’en va et qu’elle peut le cacher. Il semble comprendre et revient avec elle à la ferme. Son mari, surpris par la tournure des événements, hésite, craignant des représailles, mais finalement se rallie à la décision de sa femme. Déterminée, Christine Guillet décide seule de mettre les vêtements militaires d’Harold dans une caisse en bois qu’elle enterre en plein milieu d’un champ de topinambours. Elle donne à l’aviateur des habits de son mari, dont son beau gilet de mariage. Au cours des mois suivants, elle n’achète pas de vêtements nouveaux de peur d’éveiller les soupçons et réussit à vêtir tant bien que mal Harold avec ce qu’elle a chez elle.
Les Guillet connaissent un résistant qui habitent dans le voisinage, monsieur Pierre Baudry. Mis au courant de la situation, celui-ci dresse un plan de la ferme et le fait parvenir à Londres pour qu’un avion vienne récupérer Harold. Le jour où l’avion viendra, les Guillet devront étaler un drap blanc dans un champ près de la ferme et s’éloigner pour ne pas être arrêtés au cas où les Allemands surviendraient. Il y a d’ailleurs une opération semblable prévue près de Chavagnes-en-Paillers pour un autre aviateur allié. Par malchance, cette dernière opération va échouer et monsieur Baudry, dénoncé par des voisins, sera arrêté. Heureusement, sa maison n’est pas fouillée et sa femme réussit à brûler les papiers compromettants cachés dans une lessiveuse. Monsieur Baudry mourra en déportation à Mauthausen.
Harold reste donc chez les Guillet, partageant leur vie et participant aux travaux de la ferme. Il est logé dans une chambre et les Guillet lui laissent un lit tout neuf qu’ils venaient d’acheter. On le fait passer pour sourd-muet et un peu « demeuré ». On lui procure une fausse carte d’identité au nom de Daniel Briand, carte faite par monsieur Joseph Caillé, café du Four, 2 Route de Saint-Joseph à Nantes.
Les Guillet sont tout à fait conscients du danger qu’ils courent. Leurs trois enfants sont encore petits (6, 8 et 12 ans) et peuvent bavarder. Ils leur font la leçon : s’ils parlent, toute la famille sera fusillée. Par sécurité, un réseau de surveillance est organisé : trois amis sûrs, mis dans la confidence, vont écouter ce que l’on dit dans les environs. Au moindre bavardage, ils viendront prévenir les Guillet qui feront partir Harold. En cas de visite nocturne intempestive, Harold doit s’enfuir par la fenêtre et un des enfants doit prendre sa place dans le lit.
Malgré les nombreux passages de visiteurs venant chercher des provisions à la ferme, tout se passe bien et personne ne se doute que les Guillet cachent un aviateur allié sauf une infirmière qui s’occupe de la colonie de vacances logée au château. A la fin du printemps 1944, elle multiplie ses visites et devine la vérité, mais elle n’en parle à personne. Elle doit d’ailleurs soigner Harold qui s’est blessé au cours de son travail.
Harold se fait bien à sa nouvelle vie et ne semble pas trop malheureux. Un jour, alors qu’il travaille près de la ferme, il se met à chanter une chanson américaine. Un visiteur étant arrivé, Christine Guillet envoie un de ses enfants lui dire de se taire. Le soir, il apprend un peu d’anglais aux enfants, mais ne parlant pas le français et les Guillet ne parlant pas l’anglais, la communication n’est pas toujours facile. Elle se fait la plupart du temps par gestes et mimiques ce qui déclenche souvent des fous rires. Lorsque les Guillet sentent qu’il a le cafard, ils essaient de l’occuper ou de le distraire. De plus, pour qu’il ne soit pas complètement coupé du monde extérieur, ils le conduisent de temps en temps le soir, à travers les champs, au village voisin de la Proutière où vit une sœur de Christine Guillet. Le village a l’électricité et la sœur de Christine Guillet possède un poste de radio sur lequel Harold peut écouter la BBC.
Harold Lyberger retrouve ses compatriotes
Le 6 juin 1944, les alliés débarquent en Normandie et le 25 août, une avant-garde américaine arrive à Nantes. Harold, tenu au courant des événements, demande aux Guillet d’aller signaler sa présence à ses camarades afin de ne pas être pris pour un déserteur. Il reprend alors ses vêtements militaires, bien conservés grâce aux précautions de Christine Guillet, mais depuis son arrivée à la ferme, il a grossi et a du mal à enfiler son pantalon. René Guillet part à Nantes à bicyclette. Il rejoint après bien des difficultés les Américains car il lui faut traverser la Loire et le pont de Pirmil a été détruit par les Allemands. Les Américains sont heureux d’apprendre qu’un des leurs s’en est aussi bien sorti et promettent de venir chercher Harold le mardi 5 septembre. Ils viennent finalement plus tôt que prévu, le samedi 2 vers 10 heures. Ils ne trouvent à la ferme que Christine Guillet, son mari et Harold étant partis faire une course à Remouillé, petit bourg proche de la ferme. Ils disent qu’ils repasseront le soir même après avoir récupéré un prisonnier allemand à Cholet.
Christine Guillet va aussitôt chercher son mari et Harold à bicyclette. Apprenant la venue de ses compatriotes, Harold est fou de joie. Pour fêter la nouvelle, il boit plusieurs verres de vin et, arrivé à la ferme, s’effondre sur son lit. En fin d’après-midi, il a récupéré. Une fête a été préparée pour son départ, avec des gâteaux, du champagne et du muscadet.
Harold Lyberger entre René et Christine Guillet le jour de son départ.
La nouvelle s’étant répandue, il y a déjà soixante dix personnes dans la cour de la ferme lorsque les soldats américains arrivent dans leur jeep avec leur prisonnier. Celui-ci se fait le plus discret possible. Quelques invités, sous l’effet de la boisson se moquent de lui et veulent le frapper. Christine Guillet s’interpose aussitôt et dit qu’elle ne permettra pas cela chez elle.
Lorsque les Américains demandent à Harold comment son séjour s’est passé et s’il a été bien traité, il répond « j’ai été traité comme un enfant de la maison ».
Le directeur de la colonie de vacances hébergée dans le château, découvrant la présence de cet aviateur américain, déclare que s’il avait su cela plus tôt, il n’aurait pas hésité à aller tout raconter aux Allemands pour faire libérer son frère prisonnier. A la lumière de cette anecdote, on comprend à quel point les Guillet avaient risqué gros en cachant Harold Lyberger.
Le mardi 5 septembre, Harold Lyberger est de retour à sa base en Angleterre et fait son rapport. Il précise qu’il n’a vu lors de sa descente que sept parachutes et qu’après son atterrissage, il n’a pas revu ses camarades. Il raconte ensuite sa fuite et son séjour chez les Guillet, insistant sur leur gentillesse et leur dévouement. Pour lui, la guerre est finie. Contrairement aux Anglais, les aviateurs américains évadés après être tombés en Europe occupée ou en Allemagne ne repartent pas en mission. Il apprend que son camarade Bone, tombé en mer est mort noyé et que les autres aviateurs de son équipage ont survécu mais ont tous été fait prisonniers. Ils ne reviendront que l’année suivante, après la capitulation de l’Allemagne, le 8 mai 1945.
De retour aux États-Unis, il retrouve sa femme, Wanda E. Lyberger qui était sans nouvelles de lui depuis le 16 septembre 1943 mais avait gardé espoir. Elle avait reçu, selon la procédure habituelle, un télégramme lui annonçant que son mari avait été porté manquant au retour de sa mission et il était précisé que l’équipage de son avion avait sauté en parachute. Il avait donc pu survivre en étant caché quelque part puisque sa présence dans les camps de prisonniers allemands n’avait pas été signalée plus tard par la Croix Rouge, contrairement à ses huit autres camarades. L’administration lui avait aussi adressé un mandat de 59 dollars, et six bons du trésor que son mari avait laissé dans son placard en partant pour sa dernière mission.
Après son retour à la vie civile, Harold Lyberger a écrit à plusieurs reprises aux Guillet, les remerciant de tout ce qu’ils avaient fait pour lui, sa dernière lettre datant de 1946. Christine Guillet a pensé que le dialogue s’était interrompu alors par la faute de leur neveu, Marcel Guillet, qui avait écrit à Harold et lui avait demandé de lui envoyer une carabine.
Christine et René Guillet ont reçu en 1946 une grande enveloppe des Etats-Unis contenant un parchemin signé Eisenhower, disant la reconnaissance du peuple américain pour leur conduite courageuse.
Le certificat signé Eisenhower, reçu par les Guillet.
En 1948, monsieur Guillet a été nommé chevalier du mérite agricole à titre exceptionnel pour son action pendant la guerre. Il est décédé en 1988.
Au début des années 1990, madame Guillet n’habite plus dans sa ferme de la Preuille. Elle l’a laissé à ses enfants après la mort de son mari. Elle vit dans un petit pavillon du « Foyer Soleil » à Saint-Hilaire-de-Loulay et se souvient d’Harold comme si tout cela s’était passé hier. Elle trouve que ce qu’elle a fait était bien naturel, n’en tirant aucune fierté.
A la recherche d’Harold Lyberger
Peu de temps après avoir caché Harold Lyberger, monsieur et madame Guillet avaient mis au courant le docteur René Picard, professeur à l’école de médecine de Nantes, et sa femme, propriétaires de leur ferme. Bien évidemment, les Picard avaient gardé le secret. Ils avaient même fait parvenir à Harold des livres en anglais pour le distraire et surtout avaient eu la bonne idée d’écrire un bref résumé de son parcours avec son nom et son numéro de matricule. Fort de ces renseignements retrouvés au début des années 1990, on pouvait espérer reprendre contact avec Harold Lyberger ou sa famille en écrivant à différents services de l’armée de l’air américaine. Cet espoir ne s’est malheureusement pas concrétisé : le National Personnel Records Center de Saint-Louis, Missouri, nous a appris qu’il était décédé le 19 août 1983. Il nous a par ailleurs été précisé qu’Harold n’avait pas eu d’enfant et que l’adresse de sa femme était inconnue. Madame Guillet en a été bien attristée, ayant gardé l’espoir d’avoir un jour de ses nouvelles.
L’odyssée d’Harold Lyberger ainsi reconstituée a été publiée en Janvier 1996 dans une revue vendéenne, «La fin de la Rabinaie». Un exemplaire en a été adressé à Monsieur Philippe de Villiers en soulignant le rôle exceptionnel qu’avait joué madame Guillet dans cette histoire et en proposant qu’une cérémonie soit organisée en son honneur.
La cérémonie en l’honneur de Madame Guillet
Il s’en est suivi, le samedi 12 octobre 1996, une cérémonie très émouvante à la ferme de la Haute-Preuille où Harold Lyberger avait été caché. Au cours de cette cérémonie, présidée par Monsieur Philippe de Villiers, étaient présents le maire de Saint-Hilaire-de-Loulay et l’union locale des anciens combattants portant leurs drapeaux. Christine Guillet, qui aurait bien mérité d’être décorée de la Légion d’Honneur, a reçu alors la médaille du département, la médaille de la commune et deux diplômes américains, l’un signé Ralph Patton, président de l’Escape and Evasion Society, l’autre signé par le Field Commander Rogers, de l’association des anciens combattants américains.
Christine Guillet aux côtés de Philippe de Villiers lors de la cérémonie du 12 octobre 1996.
Était présente aussi à la cérémonie Suzann Roten dont le père, John Roten, engagé dans la 8ème Air Force, avait lui aussi sauté de son avion en parachute lors de la seconde guerre mondiale. En février 1943, alors qu’il était à bord d’une forteresse volante du 91ème Bomb group, le même groupe que celui d’Harold Lyberger, il était venu bombarder Saint-Nazaire et avait été abattu par la DCA. Sur les 10 hommes d’équipage, seuls quatre d’entre eux avaient pu sauter en parachute. Les trois camarades de John Roten étaient tombés en mer au large de Noirmoutier, près du port de l’Herbaudière. Des pêcheurs avaient voulu leur porter secours mais ils en avaient été empêchés par les Allemands pendant plusieurs heures. Lorsque ces pêcheurs avaient enfin pu partir, ils n’avaient pu repêcher que des cadavres. Plus chanceux, John Roten était tombé sur une maison de l’Herbaudière et avait été recueilli par des villageois qui lui avaient servi une grande tasse de café bien chaud et donné un gros chandail. Peu de temps après, les Allemands étaient venus l’arrêter. Il avait terminé la guerre en Allemagne dans un camp de prisonniers. En faisant des recherches sur les avions alliés tombés en Vendée au cours de la dernière guerre, le docteur Gouraud, médecin retraité demeurant à la Roche-sur-Yon, venait juste de retrouver sa trace et c’est ainsi que la fille de cet aviateur, Suzann Roten, de passage en France, était venu assister à la cérémonie de la Haute-Preuille, remettant à cette occasion à Christine Guillet la médaille de Malte, dédiée à ceux ayant œuvré pour la patrie américaine.
Le jour même de cette cérémonie, une plaque commémorant le séjour l’Harold Lyberger chez René et Christine Guillet a été posée sur le mur de la ferme où il avait été caché.
Plaque commémorative posée sur la maison de René et Christine Guillet.
Christine Guillet a manifestement été très heureuse de cet hommage en présence de ses enfants, petits-enfants et arrières petits-enfants, certains d’entre eux découvrant ce jour là à quel point elle avait été courageuse et les risques qu’elle avait couru pour sauver cet aviateur américain. Elle en a été d’autant plus touchée que cet hommage était aussi rendu à son défunt mari, ce qui n’avait jamais été vraiment fait jusqu’alors.
L’année suivante, John Roten, venu à Noirmoutier sur les lieux de son atterrissage en parachute, est passé à la Preuille et a pu ainsi rencontrer cette femme hors du commun.
Christine Guillet est décédée en 2001 dans sa maison de retraite. Ces quelques lignes ont été écrites pour que son geste admirable ne tombe pas dans l’oubli.
le 22 septembre 2018
Alain GAILLARD