CONTE DE NOEL DE REYNALD SECHER
Extrait de « 9 histoires de Noël », Gérard Bedel, Mircea Goga et Reynald Secher, Editions Via Romana, 2008.
Publié sur le Blog avec l’amicale autorisation de l’auteur.
Deux mois déjà ; deux mois que Germaine avait perdu son enfant. Perdu n’était pas le bon mot pour elle, mais elle ne savait comment dire. L’événement avait été si brutal, si dur, si définitif. Fin octobre, les Bleus étaient partout en Vendée. Les Vendéens avaient fui outre-Loire abandonnant tout derrière eux : maisons, terres, bétail….
Germaine avait préféré rester. Elle avait déjà tant donné à la guerre : ses deux frères, son père et son mari dont elle avait recueilli le dernier soupir sur le champ de bataille de Sallertaine à quelques kilomètres du château familial de Saint-Gervais.
Et puis, elle était enceinte. Elle n’était pas devenue folle grâce à cet enfant, à la fois si présent et si absent. Elle avait attendu l’accouchement avec impatience mais aussi avec une certaine inquiétude sans qu’elle comprenne vraiment pourquoi. L’enfant était né le 27 octobre, le même jour que son mari tant aimé. Elle y avait vu un signe et en avait remercié la Vierge.
On l’avait dite enceinte d’une fille car elle portait sur le devant. Elle avait accouché d’un garçon, nouveau signe, qu’elle avait appelé Hippolyte en hommage à la famille de son mari qui traditionnellement donnait ce prénom à l’aîné depuis des générations. C’était sa domestique, Christiane, qui l’avait accouchée. Égale à elle-même, elle avait été douce, prévenante, attentive. L’enfant était fort et ressemblait à son père. Encore un signe dont elle avait encore remercié la Vierge.
Au bonheur infini de l’instant, avait succédé l’enfer. Quelques heures après l’accouchement, un bataillon de Bleus avait envahi Challans abandonnée par l’Armée Vendéenne. Christiane, affolée, avait réussi à transporter sa maîtresse épuisée et à la cacher dans une cave, derrière des fagots, puis avait disparu.
Un Challandais, ami et témoin oculaire, lui avait raconté la suite des évènements. En revenant dans la chambre, Christiane était tombée nez à nez avec deux soldats bleus qui s’apprêtaient à tuer l’enfant. Elle avait hurlé, pleuré, supplié pour qu’on lui laisse la vie sauve … Les Bleus décontenancés et croyant avoir affaire à la mère, les avaient emmenés tous deux captifs à Nantes. On les disait noyés dans la Loire.
Germaine ne voulait pas croire en cette histoire. Elle sentait au plus profond d’elle-même, dans son cœur, que son fils, son Hippolyte, était en vie et qu’elle le reverrait. Elle s’était réfugiée dans la prière, ânonnant à longueur de journée ses suppliques en direction de la Sainte Vierge : « Ô notre Maman du ciel, protégez-le ! ».
On l’avait déclarée folle. Elle inlassablement, continuait de prier, jours et nuits : « Ô très Sainte Mère, ramenez-le moi… »
Les jours, les semaines, les mois étaient passés et, en cette veille de Noël, au milieu de l’après-midi, à genoux devant la crèche, faiblement éclairée par une flamme dansante, elle s’abandonnait encore pleine d’espérance : « Sainte Vierge Marie, ramenez-le moi ».
La Vierge Marie penchée au dessus de l’auge emplie de paille sembla soudain bouger, un rien, à peine un mouvement, une ombre peut-être... « Sainte Vierge Marie, ramenez-le-moi… ». Un cri, non, un pleur, un pleur de bébé résonna dans la nef : « Sainte Vierge Marie, ramenez-le moi… »
- Madame, c’est moi, Christiane. J’ai votre Hippolyte, il est ici, il est à vous…
- Sainte Vierge Marie, merci….
Reynald Secher
Vitrail de l'église des Lucs-sur-Boulogne (Vendée).